Alaaf!
Alaaf, c'est le cri ou l'exclamation du carnaval néerlandais, c'est une interjection festive, qui sera entendue souvent dans les jours qui viennent. Officiellement à partir du dimanche, mais dans la pratique dès ce vendredi, la fête de carnaval s'éclate dans les provinces méridionales des Pays-Bas. Cette manifestation catholique d’origine, qui permet à ceux qui font carême de se défouler encore quelques jours avant que les 40 jours jusqu’aux Pâques de régime stricte démarrent, prend une autre forme festive cette année : l’interdiction de la cigarette – pour beaucoup un moyen impassable de l’éclatement alcoolique – sera contrôlé à l’intérieur des bars par des contrôleurs de l’Etat déguisés, pour ne pas se faire remarquer par le grand public. Ils ne vérifient pas seulement la cloppe, mais aussi l’alcool aux mineurs. Les autorités sont réservées dans leurs communications : le nombre de contrôleurs et les réprimandes juridiques restent pour le moment inconnus. Les contrôleurs affirment de savoir que les jours de carnaval se déroulent différemment que les jours « normaux », mais ils avouent aussi qu’ils ne seront pas tolérants non plus.
Jusqu’aux années 50 du 20ème siècle, la nourriture prend une place importante dans les festivités carnavalesques. Il fallait vider les stocks de nourriture afin d’éviter la pourriture. Le carême chrétien remonte à plusieurs passages bibliques, la partie la plus connue est probablement celle du Jésus Christ, qui se serait privé de nourriture pendant 40 jours dans le désert, pour s’interroger sur sa foi lorsque le diable essaie de le séduire, d’après l’Evangile de Matthieu (4 : 1 – 4 : 10). Il faut dire que le carnaval ne revient pas dans l’Evangile de Matthieu, car juste avant d’être mis à l’épreuve de tentation diabolique, nous lisons que Jésus était baptisé par Jean et qu’une voix des cieux précise que Jésus est le Fils bien-aimé auquel Dieu a mis toute son affection (Matthieu 3 : 15 – 3 : 17). Puis l’Esprit emmène Jésus directement au désert, pas de carnaval entre ces deux textes : le Saint Matthieu a-t-il supprimé ce passage ? On s’imagine bel et bien un bon repas de baptême, où le vin coule à flots, ce n’est pas rien d’avoir le Fils bien-aimé à la table ! Après la corpulence, l’homme fait « son adieu à la viande », si on opère ce mot carnaval étymologiquement : carne vale, en latin, c’est la viande pour le mot carne et l’adieu pour vale. D’un autre point de vue, ce mot carne peut être traduit par la chair, ce qui permet d’élargir la signification de l’abstention.
Sociologiquement parlant, le carnaval est une manifestation rituelle permettant de libérer le trop-plein. On mange trop, on boit trop et on ne respecte pas trop, pendant un temps limité, les normes et les valeurs socialement prédéfinies. Le rite d’inversion des rôles est remarquable : pendant le carnaval, on se déguise, on devient quelqu’un d’autre. Le « Raad van Elf » (le Conseil d’Onze) dispose du pouvoir symbolique de la ville. Dans une cérémonie, le conseil municipal donne officiellement la clé de la ville au Prince Carnaval, chef du conseil. Les villes prennent aussi un autre nom pendant le carnaval : Eindhoven par exemple devient Lampegat, Den Bosch se transforme en Oeteldonk, et mon cher Uden s’appelle Knoerissenrijk. Cette inversion de rôles a longtemps permis aux autorités officielles de renforcer leur pouvoir pendant la période en dehors du carnaval. En relâchant les normes et les valeurs de l’Eglise et de l’Etat durant quelques jours, les bons citoyens pouvaient s’échapper un peu au joug sévère imposé par les autorités, c’était un événement à guetter avant et à revoir après. Cette inversion de rôles et cette relâche des normes et valeurs invite à revoir l’interdiction de fumer dans les bars et les cafés, d’après une large partie de la population fêtant le carnaval. Quelques hommes politiques ont proposé pour cette raison de supprimer la loi temporairement pendant les festivités. D’un point de vue historique, j'estime qu'ils n'ont pas tort.
Mis à part la cigarette cette année, le carnaval sépare la société méridionale un peu : on distingue ceux qui participent et ceux qui s’abstiennent. Ce dernier groupe de la population ne part pas rarement en vacances de ski pour éviter les festivités. Il y en a qui économisent pour les vacances de ski, d’autres familles mettent l’argent à côté pendant toute l’année pour justement pouvoir pleinement fêter le carnaval. Les participants n’ont pas de choix : il faut participer entièrement et se laisser aller, il faut se dissoudre dans la folie, sinon le carnaval n’est qu’un ensemble des fous qui se comportent de manière folle. Pour donner une impression, j’ai ajouté ce petit film à l’article, réalisé par la chaîne régionale de la province Noord-Brabant :
Pour les motivés à découvrir cette tradition culturelle : rendez vous à Maastricht, c'est tout près ! Et pour les amateurs de la musique carnavalesque néerlandaise, j’ai ajouté quelques chansons dans le pot-pourri néerlandais sur ce site.
Alaaf !