woensdag 2 september 2009

La frabatavité ou l'inspiration francophone des nouveaux chansonniers néerlandais

La chanson française est depuis longtemps aimée par le Néerlandais. Depuis les années cinquante du 20e siècle de nombreux chansonniers néerlandais ont interprété les paroles des artistes français, parfois en version originale, parfois en traduction néerlandaise, parfois dans un mélange entre les deux langues. L’exemple le plus connu dans cette dernière catégorie est probablement la chanson « Comment ça va » du groupe néerlandais The Shorts. Les artistes francophones ont connu un succès considérable dans le hit-parade du plat pays, de Brel à Adamo, de Piaf à Gainsbourg, et plus récemment Alizée et Céline Dion, ils ont tous figuré parmi les meilleures ventes de musique. De nos jours la musique française chantée par les artistes néerlandais ne touche qu’une sélection du grand public. Liesbeth List et Wende Snijders, voir ci-dessous, invitent un public un peu âgé, bien élevé et assez aisé au théâtre, quoi qu’il en soit, elles continuent à faire salle comble.


En néerlandais, la traduction du mot « chanson » est souvent « lied » ou avec le diminutif « liedje » (petite chanson). Ce mot « lied », tout comme le mot « chanson » en français, n’est qu’un terme parapluie regroupant toutes sortes de musiques. Quand le mot « chanson » sert à désigner une chanson d’un chansonnier, c'est-à-dire une chanson qui se présente sous la forme d’une narration, le Néerlandais se sert aussi de la traduction « luisterlied », littéralement « chanson à écouter ». Dans cette traduction, l’accent se place sur l’écoute de la chanson. Le pléonasme semble nécessaire pour insister sur le bon fonctionnement de l’oreille : ce n’est pas une musique de fond, mais au contraire une musique « de devant », car la compréhension des paroles s’impose pour savourer cette musique dans toute sa splendeur.

La « frabatavité » du titre de cet article est un néologisme proposé pour décrire une apparition des bribes françaises dans la chanson batave actuelle. À travers une recherche linguistique et textuelle, les artistes frabataves exploitent les possibilités de la langue française afin de créer de nouvelles formes d’expression franco-néerlandaises. À côté de la « vieille » musique française, c’est-à-dire la chanson traditionnelle mise en scène par entre autres List et Snijders (ou Dave, Néerlandais plus connu en France qu'aux Pays-Bas), une nouvelle influence de la langue française sur la chanson batave peut être discernée. Parmi les troubadours et les bohémiens du nouveau millénaire ne se retrouvent plus les chansonniers de l’époque. La « luisterlied » a évolué et certains artistes ont donné un nouveau corps musical à ce type de chanson. Le parallèle entre la chanson traditionnelle et le rap par exemple se présente logiquement : dans le rap aussi les paroles forment le coeur la chanson. Les artistes frabataves sont de nouveaux chansonniers qui ont trouvé leur inspiration dans la langue française.

L’influence des deux langues peut être réciproque, comme montre un titre récent du collectif Kern Koppen. Leur nom de groupe est par ailleurs un jeu de mot : « kernkoppen » signifie « têtes nucléaires ». Par contre « kern » en tant qu’adjectif est aussi « fondamental » lors que « koppen », le pluriel de « kop », veut dire « têtes ». L’ensemble s’affiche donc comme des « têtes fondamentales », si ce ne sont pas des « têtes nucléaires ».


Le jeu textuel se situe dans le mot « je », le pronom personnel de la première personne au singulier en français, qui en néerlandais est celui de la deuxième personne au singulier. Ainsi l’artiste s’exprime à la fois sur soi-même (le « je » français) et sur l’autre (le « je » néerlandais). La prononciation des paroles néerlandaises se francise parfois, tandis que la prononciation des paroles françaises semble se néerlandiser, ce qui aboutit à une chanson frabatave. Lisez les paroles ici.

Le collectif Le Le présente une autre forme de frabatavité. Moins rap, plus dance, moins néerlandais, plus français.


Ne cherchez pas la signification des mots français juxtaposés et lancés sur les ondes, elle est absente. Le Le semble se servir des mots et des marques français connus aux Pays-Bas pour parodier sur la musique populaire actuelle, qui n’a pas de véritable signification d’après les artistes. Peu importe ce qu’on chante, le texte a perdu sa valeur ! Les chansons de Le Le semblent ainsi être le contraire d’un « luisterlied », puisque les paroles ne se présentent pas sous la forme de narration, non, leur spécificité affleure par l’absence de sens des mots. Or, l’auditeur se retrouve piégé, car il doit avoir écouté les paroles pour être capable d’affirmer que les paroles n’ont pas de sens, il devra dresser l’oreille pour découvrir le non-sens, ce qui fait que la chanson possède en soi toutes les caractéristiques d’un « luisterlied », quoi qu’elles soient dissimulées.

De tels exemples illustrent la présence de la langue française dans la musique néerlandaise actuelle. La frabatavité présente un bain linguistique dans lequel les artistes bataves peuvent nager librement entre les mots afin de trouver une inspiration. Avec imagination, nous les observons pêcher de nouvelles formes d’expression en français. Et parfois quelqu’un fait une touche. Quand les artistes français vont-ils nager ou pêcher dans les eaux bataves ?